lundi 24 mai 2010

Élévation























Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité, 

Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde, 

Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde 

Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides; 

Va te purifier dans l'air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins 

Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, 

Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse 

S'élancer vers les champs lumineux et sereins;

Celui dont les pensées, comme des alouettes, 

Vers les cieux le matin prennent un libre essor, 

Qui plane sur la vie, et comprend sans effort 

Le langage des fleurs et des choses muettes !
Charles Baudelaire (1821-1867), Les fleurs du mal

Photo: Coucher de soleil près du ruisseau fleuri, Montréal.

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